Le festival n’aura jamais aussi bien porté son nom que cette année si spéciale. C’est le bazar, euphémisme du moindre, on ne sait plus que faire, que dire, comment se comporter et surtout quoi penser, soi-même, ensemble, selon l’échelle de nos affections, nos idées, nos proximités. Chacun de nos cercles est touché, du plus intime au plus large, de notre chez-soi, notre quartier, au plus vaste, la société, le monde dans son ensemble. La pandémie, et c’est la planète entière qui vacille. Tout cela vu depuis la lorgnette le ô combien sublime orage de l’édition 2019, grandiose et impressionnant spectacle des éléments déchainés, voilà une nouvelle édition 2020 au slogan à la rime aussi facile qu’inattendue : Un mois de juin sans Baz’art, ça fait vraiment bizarre!
Et pourtant, la programmation était bouclée par nos chères Claire et Simone, avec comme chaque année des dizaines d’artistes, de Genève et de plus loin, qui allaient rejoindre ce joyeux navire-laboratoire, cette manifestation populaire et protéiforme qui propose la réappropriation de l’espace commun par l’imaginaire. Libre et excentrique, la rue Lissignol, qui s’offre toute l’année le luxe de se couper de la circulation en plein centre-ville, est identifiable par les couleurs de ses façades, son activité sociale, culturelle et sa politique de l’habitat associatif. Plateforme de création contemporaine pluridisciplinaire, Baz’art y opère pour une diffusion artistique urbaine vivante et transforme la rue en un heureux espace indiscipliné le temps d’un week-end de fête, de découvertes, de situations et de rencontres. Avec la spontanéité au centre d’une programmation placée sous la bannière de l’exploration, ponctuée de cartes blanches et de coups de têtes, Baz’art hisse le public au même rang que celui des artistes, dans un vivifiant chaos créatif.
Cette année donc, pas de concerts dans l’intimité d’un salon, pas de performances au détour d’une cour intérieure, d’une cave ou sous un toit, ni d’installations artistiques déployées jusqu’aux façades, pas plus que de joyeuses curiosités participatives sur le trottoir. Impossible de vivre les expériences et les interactions provoquées par les oeuvres de toutes parts. Certes. Mais cette pause forcée, qui apparaissait encore incertaine en mars, puis irrémédiable en avril, ne pouvait être totale pour notre bouillonnant festival. Rapidement a germé l’idée d’un livre, un ouvrage collectif réunissant les artistes déjà programmés, les nombreux bénévoles, le comité de l’association, bref les ami.e.s de Baz’art. Poussant un peu plus loin le curseur de l’expérimentation, le parti pris offre un terrain de jeu, un espace de création pour ce beau monde, une aventure inédite dans le champ de l’édition.
Les artistes ont été invités à rendre copie d’une A4 paysage ou une double A5, page dans laquelle montrer visuellement leur travail. Photo, dessin, texte, schéma, libre à chacun.e de s’exprimer pour offrir une autre lecture de son univers. Mi-juin (le week-end fantôme de l’annulation) a vu défiler toute la bande venue se faire tirer le portrait (joie de se voir, même à distance), dans la cour du 8, rue Lissignol. Tout ca réuni dans ce livre. Peu de textes (c’est presque fini, oui) mais des listes surtout. Toutes les personnes ayant contribué de près ou de loin à Baz’art y sont remerciées, l’ensemble des artistes des dix dernières éditions y figurent aussi. Tiré à quattre cents exemplaires, ce livre d’artistes pas vraiment unique, mais bien collectif, est disponible dans les lieux culturels amis de Baz’art. Les sous des ventes prix libre vont directement dans leurs poches, bisou dans le cou plus que véritable soutien, mais les gestes d’amitié, ca compte. 2020 donc, édition à rebondissement pour Baz’art, celle d’une édition bat’arde, littéralement.
Privé de l’expérience physique du festival, on s’offre une pause au fil de ces pages. Et l’on imagine différemment ce qu’on aurait découvert en vrai. On voit aussi comment se fabrique ce support de création inédit, avec des images savamment pensées, d’autres très spontanées, les plasticiens par définition familiers avec la production d’images, les musiciens ici s’affranchissant du son. Dans la lancée, une compilation de musique leur est proposée pour accompagner le livre. Les contributions des artistes sont plus nombreuses qu’espéré, ce terrain de jeu s’avère fertile. A l’image du festival, qui franchit allègrement les frontières des genres, on retrouve le joyeux bouillonnement créatif de Baz’art. L’échelle du temps diffère, on pose ensuite précieusement ce souvenir imprimé sur le rayon d’une bibliothèque, pour mieux y revenir à l’envie. Dans le saisissement de cette année, ce livre va bien à la diète qui dicte désormais nos appétits culturels. Moins de concerts, de pièce de théâtre, de films, de vernissages d’expo, de fêtes, bref moins d’événements en général. Et peut-être un poil plus de temps pour lire? A travers ce livre, Baz’art se situe là, invite à prendre la mesure de nos quotidiens changés, le calme du confinement intériorisé. Et puis, on peut aussi le prêter ou le donner, autre forme de lien affectif avec son entourage. On voit bien alors qu’il s’agit plus vraiment d’un livre, mais plutôt d’une plateforme d’échanges, d’un espace pour être ensemble, faire communauté autour de notre cher Baz’art. Ici, la fabrique des pratiques artistiques est mise au premier plan, non les productions, les objets culturels qui en découlent. Il montre la scène qu’aurait été Baz’art en 2020, fermant ainsi le chapitre d’une année exceptionnelle. L’ouvrage est désormais à suivre.
Camille Abele